vendredi 20 mars 2009

Le Monde : Pourquoi ils écrivent en français

Lu dans Le Monde du 20 mars 2009 (extrait) :

La Journée internationale de la francophonie (le 20 mars) et Semaine de la langue française (du 16 au 23 mars) réussiront-elles à modifier l'image que les Français se font de leur langue ? Un peu partout, des articles fatalistes donnent le ton : "Français, le recul constant" (Skynetblog, 28 avril 2007), "La mort de la culture française" (Time, 21 novembre 2007), "L'Occident et sa culture ne fascinent plus" (Télérama, 1er octobre 2008)...
Pourtant, si le français semble perdre de son influence dans le monde, force est de constater qu'auprès des écrivains son capital de séduction reste entier. Le phénomène n'est d'ailleurs pas nouveau. Beckett, Cioran, Ionesco, Arrabal, Panaït Istrati... et, plus près de nous, Milan Kundera ou François Cheng : tous ont abandonné leur langue maternelle pour celle de Molière.
Aujourd'hui, cet engouement perdure et paraît même s'amplifier. Un seul exemple ? Les prix littéraires 2008. Le Goncourt à Atiq Rahimi, le Renaudot à Tierno Monembo, le prix Théophile Gautier de l'Académie française à Seymus Dagtekin... illustrent bien le fait que penser et inventer en français continue d'attirer des écrivains originaires du monde entier - en l'espèce d'Afghanistan, de Guinée ou même de la partie turque du Kurdistan...
A quoi il faudrait ajouter l'Amérique (Jonathan Littell ou David I. Grossvogel), l'Argentine (Hector Bianciotti ou Silvia Baron Supervielle), Cuba (Eduardo Manet), la Grèce (Vassilis Alexakis), la Slovénie (Brina Svit), la Russie (Andreï Makine), l'Allemagne (Anne Weber), le Japon (Aki Shimazaki), la Suède (Bjorn Larsson), le Danemark (Pia Petersen), l'Italie (Carlo Iansiti), la Roumanie (Andrei Vieru), la Chine (Ying Chen)... et l'on est loin d'épuiser tous les exemples. Pourquoi renonce-t-on un jour à sa langue maternelle pour bâtir une oeuvre en français ? Par amour ? Par nécessité ? Parce que les circonstances vous y poussent ? Ou la richesse de l'idiome ? Ou les grands auteurs de la "langue d'accueil" ?
"Au départ, je ne me posais pas la question, explique Atiq Rahimi. Syngué Sabour est sorti directement en français. Jusque-là, j'avais écrit mes livres en persan, mais là, je touchais un sujet tabou dans ma langue maternelle. Or, je ne voulais pas présenter la femme afghane comme un objet caché, sans corps ni identité. Je souhaitais qu'elle apparaisse comme toutes les autres femmes, emplie de désirs, de plaisirs, de blessures. Le français m'a donné cette liberté."
Echapper aux rigidités de sa langue d'origine, c'est aussi ce que recherche la romancière vietnamienne Anna Moï. "En vietnamien, il n'y a pas un mot pour dire "vous" ou "tu". Si j'écris sur une femme, je suis obligée de dire "petite soeur". Si j'ai envie d'inventer une histoire où cette femme aime un homme plus jeune qu'elle, c'est impossible, la langue ne le prévoit pas. Certes, le conformisme est inscrit dans la langue même (à travers les pronoms personnels, par exemple). Mais ce qui me paralyse, ce serait plutôt mon propre rapport à cette langue, dans laquelle j'ai été élevée, et "bien élevée". Je fuis ma bonne éducation en migrant vers d'autres langues. Plus je m'en éloigne, plus je peux être iconoclaste et dire l'indicible." L'Italien Carlo Iansiti ne dit pas autre chose : "Ecrire en français, c'est pour moi être ailleurs, c'est se détacher d'une famille, d'un pays, d'une vie qu'on n'a pas choisis ; aujourd'hui cette langue ne m'est plus étrangère, elle me donne le sentiment de pouvoir inventer mon existence."
Et puis il y a, semble-t-il, la plasticité particulière du français, qui permet de "plier les mots dans un sens ou dans un autre". Contrairement au danois - une quasi "novlangue", qui "s'appauvrit" et ne "s'interroge pas" -, "le français ne fige jamais le sens d'un terme, explique la romancière Pia Petersen. En cela, il reflète bien la mentalité d'un peuple toujours enclin à contester, interroger, réagir... Une langue indocile, c'est toujours attirant pour un écrivain..."

"GOÛT DU DÉFI"
Beaucoup d'auteurs soulignent aussi son "universalité". "Montesquieu ou Voltaire font souvent parler l'étranger, note Fouad Laroui, qui, né au Maroc et installé aux Pays-Bas, écrit ses romans en français et ses poèmes en néerlandais. J'ai tout de suite perçu cela comme une invitation. Quand j'ai vu que les Persans ou les Hurons parlaient français, je me suis dit : "pourquoi pas moi ?" C'est ce cercle vertueux qui est intéressant : plus les étrangers écrivent dans cette langue, plus elle devient universelle."

La suite dans Le Monde :
http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/03/20/pourquoi-ils-ecrivent-en-francais_1170385_3260.html

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